Transferts « Dublin » : la rétention administrative hors la loi

16.03.2017

Droit public

Pour la Cour de justice de l'Union européenne, en l'absence de critères légaux objectifs définissant le risque de fuite, tout placement en rétention administrative d'un demandeur d'asile en procédure « Dublin » est illégal.

Alors que le législateur français n’a toujours pas défini les critères objectifs sur la base desquels une personne sous procédure « Dublin » peut être considérée comme risquant de prendre la fuite, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge, dans un arrêt du 15 mars 2017, que les articles 2, sous n) et 28, paragraphe 2 du règlement « Dublin III » (Règl. n° (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil 26 juin 2013), imposent aux États membres « de fixer, dans une disposition contraignante de portée générale, les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite » du demandeur d’asile qui fait l’objet d’une procédure de transfert.
 
Aussi, alors que la Cour souligne que « l’absence d’une telle disposition entraîne l’inapplicabilité de l’article 28, paragraphe 2, de ce règlement », il est désormais nécessaire de s’interroger sur la possibilité pour les autorités françaises de procéder à des placements en rétention dans le cadre de ces transferts.
La rétention prévue par le règlement implique l’adoption de dispositions législatives en droit interne
Nécessité de définir la notion de fuite en droit interne
Pour la Cour, bien qu’un règlement soit en principe d’application immédiate sans qu’il soit besoin de prendre des mesures d’application, certaines dispositions impliquent l’adoption d’acte en droit interne pour leur mise en œuvre.
 
Tels est le cas pour la rétention car, selon la Cour, il ne peut être procédé au placement en rétention des demandeurs d’asile en procédure « Dublin » sans que, comme l’exige l’article 2, sous n) du règlement, les critères objectifs définissant l’existence d’un risque de fuite soient « définis par la loi ».
 
Pour la CJUE, cette analyse est corroborée par une lecture combinée de différentes dispositions du paquet asile, telles que :
 
- l’article 8, paragraphe 3, sous f), de la directive « accueil », qui autorise le placement en rétention des demandeurs d’asile en se référant expressément à l’article 28 du règlement « Dublin » ;
 
- le dernier alinéa de cet article 8, paragraphe 3, qui précise que les motifs d’un tel placement sont définis par le droit national ;
 
- le considérant 20 du règlement « Dublin III », qui précise que des critères tels que ceux qu’il vise à l’article 2, sous n) nécessitent une mise en œuvre dans le droit national de chaque État membre.
Nécessité de recourir à la loi au sens formel
Pour déterminer ce que recouvre la notion de « loi » au sens du règlement, les termes de ce dernier doivent, selon la Cour, être interprétés au travers du prisme du « haut niveau de protection » garanti par le règlement (qui apporte « des limitations importantes au pouvoir des États membres de procéder à un placement en rétention ») et « en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ».
 
La Cour se réfère alors aussi bien aux articles 6 (droit à la liberté) et 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux (qui impose que toute limitation au droit à la liberté soit prévue par la loi), qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 5 de la Convention, pour en déduire que le droit à la liberté, qui assure la protection de l’individu contre l’arbitraire, implique qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté doit être suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application.
 
Or, selon la Cour, seule une règle de portée générale est susceptible d’assurer cette garantie et « une jurisprudence établie, sanctionnant une pratique constante de la police des étrangers, telle que dans l’affaire au principal, ne saurait suffire ».
 
Dans ces conditions, à défaut d’une loi (au sens formel) définissant la notion de fuite par des critères objectifs, les demandeurs d’asile placés en procédure « Dublin » et faisant l’objet d’une décision de transfert ne peuvent en principe pas être placés en rétention.
Des critères jurisprudentiels désormais inopérants
La décision de la Cour devrait avoir un impact direct sur la mise en œuvre des procédures de transfert en France car, comme nous le soulignions à l’occasion de la loi portant réforme du droit d’asile (voir bull. spécial n° 247-1), le législateur n’a, à aucun moment, défini la notion de fuite au sens du règlement « Dublin ».
 
Et, alors même que la CJUE souligne que la définition de la notion de fuite ne peut résulter « d’une jurisprudence établie, sanctionnant une pratique constante de la police des étrangers », ce sont à l’heure actuelle les juridictions qui, faute de critères établis par la loi, apprécient le risque de fuite au regard des seuls critères, très factuels, dégagés par le Conseil d’État (CE, réf., 12 oct. 2011, no 353184 ; CE, réf., 28 févr. 2014, no 375618 ; CE, réf., 20 févr. 2017, no 408119).
Remarque : si le législateur a établi des critères s’agissant du régime des obligations de quitter le territoire français (C. étrangers, art. L. 511-1, II), ceux-ci ne sont pas applicables aux procédures « Dublin ». En effet, ils se rattachent légalement à l’exécution de ces obligations et ne sont pas adaptés à la spécificité des transferts de demandeurs qui, généralement entrés irrégulièrement en France et ne disposant pas de passeport et rarement de domicile stable, devraient, au sens de ces dispositions, être systématiquement regardé comme risquant de prendre la fuite.
En définitive, et bien que l’affaire jugée l’a été suite à une question préjudicielle d’une juridiction tchèque, l’interprétation de la Cour devrait aujourd’hui faire obstacle à ce qu’en France, les demandeurs d’asile « dublinés » soient placés en rétention… tant que le législateur ne se sera pas conformé aux exigences du règlement.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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