Focus sur le nouveau régime social des indemnités transactionnelles

Focus sur le nouveau régime social des indemnités transactionnelles

17.08.2018

Gestion du personnel

Dans six arrêts rendus récemment, la Cour de cassation modifie le régime social des indemnités transactionnelles. Stéphane Bloch, avocat associé, et Fabien Crosnier, avocat, au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats analysent la portée de ces décisions.

Le régime social des indemnités transactionnelles vient d’être substantiellement modifié par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts rendus les 15 mars et 21 juin 2018. Face à cette évolution, des précautions particulières s’imposent dans la rédaction des protocoles d’accord transactionnels.

Régime applicable avant les arrêts des 15 mars et 21 juin 2018

Jusqu’aux arrêts des 15 mars et 21 juin 2018, le traitement social de l’indemnité versée dans le cadre d’une transaction conclue afin de clore un litige sur l’imputabilité d’une rupture du contrat de travail (prise d’acte ou résiliation judiciaire) ou sur le bien-fondé d’un licenciement, était aligné sur celui de l’indemnité de licenciement (1).

L’article L.242-1 alinéa 12 du code de la sécurité sociale et, sur renvoi de ce dernier, l’article 80 duodecies du code général des impôts, imposaient alors, pour déterminer la part de l’indemnité transactionnelle soumise à cotisations sociales, d’en passer par trois étapes successives qui étaient en synthèse les suivantes :

Dans un premier temps, il convenait de "faire masse" de l’indemnité transactionnelle stricto sensu (l’indemnité "supra-légale" ou "supra-conventionnelle") avec la somme éventuellement versée au titre de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (2) ;

Dans un deuxième temps, il y avait lieu de déterminer la part du montant cumulé de ces indemnités qui était exonérée d’impôt sur le revenu en application de l’article 80 duodecies alinea 2, 3° du code général des impôts (3), à savoir le montant le plus élevé entre :

  • soit l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (sans limitation de montant) ;
  • soit le double de la rémunération annuelle brute perçue au cours de l’année civile précédant la rupture du contrat, dans la limite de six fois le plafond annuel de la sécurité sociale ("PASS") ;
  • soit la moitié des indemnités versées, dans la limite de six PASS.

La part de l’indemnité globalisée qui se retrouvait ainsi exclue de l’assiette de l’impôt sur le revenu, était elle-même exonérée de cotisations sociales à concurrence de deux PASS (soit 79 464 euros en 2018), sans préjudice des règles spécifiques d’assujettissement à la CSG-CRDS.

Par exception, l’indemnité transactionnelle était assujettie à cotisations sociales dès le premier euro si son montant était tel qu’il conduisait à porter le montant cumulé des indemnités de rupture (indemnité transactionnelle comprise) au-delà de dix PASS.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Position de la Cour de cassation

Cette construction a été démantelée par cinq arrêts de la Cour de cassation rendus les 15 mars et 21 juin 2018 (4), solution réitérée depuis dans un dernier arrêt du 12 juillet 2018 (5].

Les règles applicables aux indemnités versées dans le cadre de transactions destinées à mettre fin à des litiges portant sur l’imputabilité d’une rupture du contrat de travail ou sur le bien-fondé ou encore les circonstances d’un licenciement, sont désormais en synthèse les suivantes.

Ces indemnités ne peuvent plus se voir appliquer le régime social de faveur édicté par l’article L.242-1 alinéa 12 du code de la sécurité sociale, désormais réservé aux seules indemnités de rupture énumérées à l’article 80 duodecies du code général des impôts auquel il renvoie.

Il s’ensuit que, dorénavant, l’indemnité transactionnelle est par principe soumise à cotisations sociales, sauf si l’employeur rapporte la preuve qu’elle concourt, pour tout ou partie de son montant, à l’indemnisation d’un préjudice (autrement dit, qu’elle a la nature de dommages-intérêts).

Se profile ainsi un nouveau régime social de l’indemnité transactionnelle qui n’est pas exempt de difficultés.

Distinguer les situations

En premier lieu, il convient évidemment de réserver le cas des indemnités versées dans le cadre d’une transaction dont l’objet serait de clore un litige relatif à des créances ayant la nature d’un salaire (rappels de primes ou préavis dont le salarié n’aurait été qu’imparfaitement réglé par exemple), quand bien même ce litige serait contemporain de celui élevé au titre de la rupture du contrat de travail.

Dans la mesure où il appartient au juge de rechercher "la qualification à donner aux sommes objet de la transaction" (6) en vérifiant notamment si celles-ci comprennent "des éléments de rémunération soumis à cotisations" (7), de telles indemnités devraient être assujetties à cotisations sociales. Il convient donc, le cas échéant, de traiter formellement à part dans la transaction les sommes qui pourraient avoir la nature d’un salaire et celles qui présentent un caractère purement indemnitaire.

De même encore, lorsqu’une transaction intervient dans le cadre d’un licenciement pour faute grave (exclusif, donc, du préavis et de l’indemnité de licenciement) sans qu’il soit prévu de verser au salarié une quelconque somme au titre du préavis en sus de l’indemnité transactionnelle, les parties devront stipuler très expressément dans le corps de la transaction que l’employeur ne renonce pas à se prévaloir de la faute grave, ceci afin de minimiser tout risque de réintégration dans l’assiette des cotisations sociales de la part de l’indemnité transactionnelle représentative du montant de l’indemnité compensatrice de préavis (8). Aucun redressement ne peut toutefois intervenir au titre de la part de l’indemnité transactionnelle versée après un licenciement pour faute grave prétendument représentative du préavis, lorsque cette indemnité est inférieure au montant cumulé de l’indemnité de préavis, de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité minimale pour licenciement sans cause réelle et sérieuse auquel le salarié aurait virtuellement droit (9).

Une logique binaire

En deuxième lieu, le dispositif issu des arrêts de mars et de juin 2018 parait obéir à une logique binaire de "tout ou rien" :

  • soit l’employeur établit que l’indemnité transactionnelle a un caractère indemnitaire, auquel cas elle devrait être, dans cette mesure, exonérée de cotisations sociales y compris donc en toute logique (et c’est une nouveauté) pour la part de ces indemnités qui, compte étant tenu du montant qui aurait éventuellement déjà été versé au salarié au titre de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, excèderait deux voire dix PASS ;
  • soit l’employeur échoue à rapporter cette preuve et l’indemnité devrait alors être intégralement assujettie à cotisations sociales, y compris (et contrairement aux solutions qui avaient cours jusqu’alors pour les indemnités n’excédant pas dix PASS), en-deçà de deux PASS.

La nouvelle solution est donc à double tranchant car si l’exclusion d’assiette a lieu désormais pour la totalité de l’indemnité (et non plus à hauteur de deux PASS), elle risque dans le même temps d’être plus difficile à obtenir.

Déconnexion des régimes fiscal et social

En troisième lieu, les nouvelles règles aboutissent, à droit constant, à déconnecter le régime social de l’indemnité transactionnelle de son régime fiscal.

En synthèse, là où une indemnité transactionnelle exonérée d’impôt était également socialement exonérée sous les seules réserves du franchissement des seuils de deux et dix PASS, désormais, une indemnité versée dans le cadre d’une transaction destinée à clore un contentieux sur l’imputabilité ou le bien-fondé de la rupture du contrat de travail, pourrait :

  • être traitée comme une indemnité de rupture au point de vue fiscal (l’administration fiscale continuant d’assimiler les indemnités transactionnelles à des indemnités de rupture éligibles au régime fiscal de faveur organisé par l’article 80 duodecies du CGI (10) ;
  • et, partant, être exonérée d’impôt sur le revenu, dans la limite des trois plafonds prévus par l’article 80 duodecies du CGI voire même pour la totalité de son montant, au même titre que le seraient des dommages-intérêts judiciaires pour licenciement injustifié, si le salarié parvient à démontrer que la rupture est assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse (11) ;
  • sans l’être au point de vue social, l’indemnité étant intégralement ou partiellement socialisée à partir du moment où l’employeur n’établit pas en quoi elle concourt strictement à l’indemnisation d’un préjudice.
Attention à la rédaction du protocole transactionnel

En quatrième lieu,  un soin particulier devra être attaché à la rédaction du protocole transactionnel.

Tout d’abord, il conviendra évidemment de ne rien inscrire dans le protocole qui puisse être interprété comme valant reconnaissance par les parties du fait que l’indemnité est soumise à cotisations sociales (12).

Surtout, il apparaît désormais indispensable d’identifier (le cas échéant en les ventilant) le plus précisément possible dans la transaction les chefs de préjudice que l’indemnité transactionnelle a pour objet de compenser et ce afin d’en établir le caractère indemnitaire.

A défaut, l’indemnité pourrait être réintégrée dans l’assiette des cotisations sociales. Ainsi, dans l’un des arrêts (non publié) rendus le 21 juin 2018, si la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir réintégré une indemnité transactionnelle dans l’assiette des cotisations sociales, c’est (notamment) parce que "la transaction ne stipul[ait] pas la nature des préjudices compensés par cette indemnité" (13).

A cet égard, le préjudice couvert par l’indemnité transactionnelle peut d’abord et surtout s’entendre d’un préjudice moral et/ou réputationnel distinct du préjudice consistant dans la perte d’emploi. Celui-ci ne sera toutefois pas forcément évident à caractériser et par conséquent à quantifier.

L’on sait, en effet, qu’un tel préjudice autorise habituellement le salarié à solliciter en justice une indemnisation pour préjudice distinct complémentaire à celle due au titre du caractère injustifié du licenciement, en excipant des circonstances périphériques entourant la mise en œuvre de la rupture.

Or, l’examen des décisions montre que les juges tendent à limiter les cas d’indemnisation d’un tel préjudice à des situations topiques où il a été porté une atteinte particulière à la dignité, à l’image ou au crédit du salarié (interdiction d’accès du salarié à son bureau, fouille du bureau et des documents personnels, mise à pied verbale (14) ; envoi de nombreux mails au salarié et diffusion, par l'employeur, d'accusations au sein de l'entreprise pour tenter d'expliquer sa décision (15) ; suivi d’un traitement médicamenteux et présentation d’un huissier au domicile de l’intéressé pour le sommer de lui remettre une copie de son contrat de travail (16) ; courrier dénigrant mettant en cause la probité du salarié (17) ; retrait immédiat de la ligne téléphonique et de la carte professionnelle du salarié (18), demande de restitution de clés, convocation à un entretien préalable annulé le jour même et remise d'une nouvelle convocation, attitude injurieuse (19) ; utilisation de termes humiliants dans la lettre de licenciement (20), etc.). A contrario, il a été jugé que la "rapidité" du licenciement (21) ou le simple fait pour celui-ci de reposer sur des fondements blessants pour le salarié (22) ne suffisent pas à faire ressortir l’existence d’un préjudice moral distinct du préjudice tenant à la perte d’emploi.

La réalité d’un tel préjudice pourra en revanche peut-être plus facilement se déduire, en présence d’un licenciement pour faute grave (ou avec dispense d’exécution du préavis) et précédé d’une mise à pied conservatoire, de la soudaineté de la rupture ayant entraîné l’impossibilité pour le salarié d'avertir ses collègues de son départ, ces derniers pouvant alors suspecter la commission de faits graves (23), ou encore, en présence d’un licenciement pour motif non-disciplinaire, de la notification à l’intéressé d’une dispense d’activité alors qu’il disposait d’une très grande ancienneté et qu’une telle mesure ne s’imposait pas eu égard à l'absence de caractère disciplinaire du licenciement (24).

A noter toutefois que le juge semble se réserver la possibilité de réintégrer dans l’assiette des cotisations des indemnités transactionnelles disproportionnées par rapport à la réalité du préjudice moral allégué (25) (encore que la logique devrait conduire à ne réintégrer que la fraction de l’indemnité excédant la mesure du préjudice librement appréciée par le juge), ce qui pourrait désormais peut-être inciter certaines entreprises à se montrer plus timorées dans la négociation du montant de l’indemnité.

Au-delà du préjudice moral, il subsiste en revanche une incertitude sur la possibilité de "désocialiser" une indemnité transactionnelle qui serait présentée comme ayant pour unique objet de réparer le préjudice matériel résultant de la perte d’emploi (et de la perte des salaires subséquents) consécutive à la rupture du contrat de travail, lequel préjudice aura déjà partiellement été réparé au titre de l’indemnité de licenciement (26).

► Pour en terminer, rien ne paraît a priori faire obstacle à ce que ces nouvelles solutions soient  étendues aux transactions conclues en vue de clore un litige né non plus seulement au titre de la rupture du contrat de travail mais également au titre de sa conclusion ou de son exécution, même si quelques rares décisions isolées avaient déjà pu, par le passé, conclure à l’exonération de cotisations sociales d’indemnités transactionnelles versées dans le cadre de différends nés à raison de l’exécution du contrat de travail à partir du moment où ceux-ci étaient sans lien avec des réclamations d’ordre salarial (27). 


 

(1) Et ce alors même que l’article 80 duodecies du code général des impôts auquel renvoie l’article L.242-1 du code de la sécurité sociale ne mentionne pas l’indemnité transactionnelle.

(2) La direction de la sécurité sociale et la direction des finances publiques précisent en effet que les plafonds social (circulaire interministérielle n°DSS/SD5B/2011/145 du 14 avril 2011) et fiscaux (BOI-RSA-CHAMP-20-40-10-30, § 70) d’exonération s’appliquent au montant total des indemnités perçues à l’occasion de la rupture du contrat de travail.

(3) Nous ne traitons pas ici du cas spécifique des indemnités versées dans le cadre d’un PSE.

(4) Arrêts du 15 mars 2018, n°17-11.336 et n°17-10.325 (deux arrêts) ; arrêts du 21 juin 2018, n°17-19.773, n°17-19.432 et n°17-19.671 (trois arrêts).

(5) Arrêt du 12 juillet 2018, n°17-23.345.

(6) Arrêt du 30 juin 2011, n°10-21.274.

(7) Arrêt du 26 mai 2016, n°15-20.065.

(8) Arrêt du 21 juin 2018, n°17-19.773 ; arrêt du 15 mars 2018, n°17-10.325.

(9) Arrêt du 12 juillet 2018, n° 17-23.345. Dans un tel cas en effet, il ne peut pas, par construction, être soutenu que l’indemnité transactionnelle engloberait l’indemnité de préavis.

(10) BOI-RSA-CHAMP-20-40-10-30, § 30.

(11) Décision du Conseil constitutionnel du 20 septembre 2013, n°2013-340 QPC, considérant 6 ; CE, 1er avril 2015, n°365253.

(12) Arrêt du 15 mars 2018 n°17-11.336 (les protocoles prévoyaient que "l'ensemble des cotisations sociales dues" serait précompté sur les indemnités).

(13) Arrêt du 21 juin 2018, n°17-19.671.

(14) Arrêt du 1er avril 1998, n°96-40.146.

(15) Cour d'appel d'Angers 12 juillet 2018, n°17/00729.

(16) Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5 avril 2018, n°16/04724.

(17) Cour d'appel de Paris, 20 mars 2018, n°16/11654.

(18) Cour d'appel de Paris, 6 mars 2018, n°16/04328.

(19) Cour d'appel de Paris, 20 février 2018, n°16/13084.

(20) Cour d'appel de Caen, 19 janvier 2018, n°16/02004.

(21) Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 19 janvier 2018, n°15/10459.

(22) Cour d'appel de Versailles, 25 janvier 2018, n°16/04974.

(23) Cour d'appel de Lyon 27 avril 2018, n°16/05907.

(24) Cour d'appel de Poitiers, 17 janvier 2018, n° 17/00697.

(25) Arrêt du 21 juin 2018, n°17-19.671 (la Cour de cassation relève que pour décider que l’indemnité transactionnelle devait être socialisée, la cour d’appel avait retenu que son montant de 40 000 euros, même pour un salarié ayant une grande ancienneté, était "peu compatible […] avec la réparation du seul préjudice moral résultant des circonstances prétendument brutales et vexatoires de la rupture").

(26) Arrêt du 21 juin 2018, n°17-19.671 (approuvant l’arrêt d’appel qui, pour décider que l’indemnité devait être assujettie à cotisations, avait relevé que la transaction ne mentionnait pas qu’elle aurait compensé "un préjudice autre que financier résultant des circonstances de la rupture").

(27) Arrêt du 28 mars 2002, n°00-17.851 (préjudice consistant en la privation du bénéfice de jours de repos compensateurs) ; Cour d'appel de Paris, 27 novembre 2014, n° 11/10152 (préjudice né de l’exécution défaillante d’un accord ARTT).

Stéphane Bloch et Fabien Crosnier
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