Aurélie Cormier Le Goff, avocate associée au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats, analyse la portée des ordonnances en matière de négociations obligatoires. Les partenaires sociaux de l'entreprise pourront désormais décider de négocier tous les 4 ans seulement sur les thèmes relevant des sujets obligatoires de négociation.
Que changent les ordonnances en matière de négociation obligatoire dans l'entreprise ?
Les ordonnances prévoient une vraie nouveauté pour les entreprises : leur permettre de négocier non seulement sur la périodicité des négociations obligatoires, comme le prévoyait déjà la loi Rebsamen, mais aussi sur les thèmes et le contenu des sujets de négociation. Les entreprises devront toujours aborder ces thèmes obligatoires de manière régulière mais l'examen de certains de ces thèmes pourra être reporté jusqu'à 4 ans [contre 3 ans dans la loi Rebsamen et 5 pour la négociation sur la GPEC].
Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.
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Sur certains thèmes comme l'égalité professionnelle, les travailleurs handicapés, la qualité de vie au travail, le droit à la déconnexion,... qui sont autant de politiques RH qui se déploient dans le temps et pour lesquels les accords sont souvent conclus pour une durée supérieure à l'année, les partenaires sociaux ne souhaitent pas forcément se remettre autour de la table tous les ans. L'objectif pour eux va donc être de définir ce qui nécessite un réexamen régulier et se concentrer sur les sujets plus prégnants par rapport à la situation de l'entreprise. Le sens de cette réforme est de dire qu'on ne va plus négocier pour négocier, mais négocier sur moins de sujets pour aboutir à plus d'accords.
Une périodicité de 4 ans pourrait-elle être pertinente pour les salaires ?
Si on a un accord qui donne des perspectives sur les deux prochaines années en marière de rémunérations, il ne sera pas nécessaire de rouvrir les négociations chaque année. On peut toutefois se demander si des organisations syndicales accepteront d'aller au-delà et de reporter la négociation sur les salaires sur 4 ans. Ce d'autant plus qu'un autre changement a été apporté en matière de négociation périodique obligatoire sur les salaires. Auparavant, même si l'entreprise signait un accord collectif prévoyant une périodicité des négociations sur ce sujet supérieure à l'année, elle devait tout de même rouvrir une négociation chaque année si un ou plusieurs syndicats en faisaient la demande. Cela n'est plus possible désormais. Si un accord a été signé et qu'il fixe une périodicité qui va au-delà d'une année, un ou plusieurs syndicats ne pourront plus demander l'ouverture d'une négociation avant l'échéance fixée.
Les ordonnances approfondissent l'articulation entre les accords de branche et d'entreprise, mais introduisent une notion nouvelle de "garanties équivalentes" permettant à l'entreprise de reprendre la main. comment comprenez-vous cette notion ?
J'y vois une volonté de ne pas réutiliser le vocable du "plus favorable" qui est difficile à appliquer sur certains sujets qui ne se prêtent pas à une comparaison "quantitative", ce qui est le cas d'un grand nombre de sujets du "bloc 1" qui correspond aux garanties en principe fixées impérativement par la branche (classifications, formation, égalité professionnelle,...). Mais l'équivalence suppose néanmoins une appréciation comparative des garanties qui ne sera pas évidente à réaliser, y compris s'il faut apprécier par "domaines" comme indiqué par le rapport au Président de la République publié en même temps que l'ordonnance (mais non par le texte lui-même), ce qui d'ailleurs ne correspond pas exactement à l'approche de la jurisprudence actuelle qui compare les avantages ayant un même cause ou un même objet.
De plus, en permettant de manière générale à l’accord d’entreprise de prévoir des garanties équivalentes à celles de la branche pour tout ce qui relève du "bloc 1" et le cas échéant du "bloc 2", le texte crée de fortes interrogations sur les possibilités ouvertes à l’accord d’entreprise. En effet, certains sujets du "bloc 1" constituent des dérogations qui ne sont accessibles que si un accord de branche les prévoient (fixation d’une durée des CDD plus longue que la durée légale, possibilité de recourir au contrat de chantier, adaptation de la réglementation légale du travail à temps partiel, aménagement pluriannuel du temps de travail...) : indiquer que l’accord d’entreprise peut, sur ces thèmes, prévoir des garanties équivalentes à celles de la branche, laisse entendre que l’accord d’entreprise pourrait à lui seul organiser ces dérogations, alors que seul un accord de branche peut légalement les prévoir. Cette rédaction sera probablement source de confusion pour les entreprises et même si la branche a ouvert l’accès à ces dispositifs dérogatoires, il risque d’y avoir du contentieux contre des accords d’entreprise qui tenteront d’adapter ces garanties en estimant, peut-être à tort, être "équivalents".
La réforme vise également à sécuriser les accords collectifs en instaurant une "présomption de légalité" et en limitant les actions en nullité. Ces mesures limiteront-elles effectivement les contentieux ?
S'agissant de la présomption qui est instituée, la rédaction définitive des ordonnances ne change rien au droit existant. L'intention originelle du législateur a été dégradée, compte tenu des réserves du Conseil d'Etat dans le cadre de son examen du projet de loi d'habilitation. Il s'agissait initialement de ne permettre la contestation des dispositions conventionnelles que si elles ne répondaient pas à des considérations professionnelles, comme c’est le cas selon la jurisprudence pour les avantages catégoriels institués par accord. Les clauses conventionnelles auraient été ainsi quasi inattaquables. Au final, la rédaction définitive des ordonnances réitère simplement la règle actuelle de la charge de la preuve qui fait peser sur celui qui conteste l’accord la charge de démontrer qu’il n’est pas conforme aux règles légales.
S'agissant de l'action en nullité des accords collectifs dont la prescription est désormais de 2 mois (au lieu de 5 ans jusqu'à présent), la question est de savoir si ce délai sera opposable aux salariés qui exciperont de la nullité d'une clause conventionnelle à l'occasion d'un contentieux individuel, par la voie de l'exception.
Lorsque l'action est engagée par toute autre personne que les organisations représentatives qui disposent d’une section syndicale dans l’entreprise, le délai de prescription court à compter de la publication de l’accord dans la base de données publiques qui n'est toujours pas ouverte. Cela pose-t-il un problème pour les actions qui seront engagées après la publication des ordonnances ?
Non, car l’absence de fixation du point de départ du délai de prescription n'empêche pas d'agir. Le délai de contestation par d’autres personnes que les organisations syndicales présentes dans l’entreprise ne sera simplement pas limité dans le temps tant que cette base n'est pas accessible (ce qui, d’après la DGT, devrait être le cas à compter du 18 octobre prochain).
Notons également que s'agissant des accords déjà conclus, les actions en nullité à leur encontre non encore engagées seront aussi saisies par ce délai de prescription qui court à compter de la publication de l'ordonnance au Journal officiel : à compter du 23 novembre 2017, aucune action en nullité des clauses de ces accords ne pourra donc plus être valablement exercée.