Médecins de ville, formation des élus, services aux entreprises : ce que contient l'ANI santé au travail

Médecins de ville, formation des élus, services aux entreprises : ce que contient l'ANI santé au travail

10.12.2020

Gestion du personnel

Dans la nuit de mercredi à jeudi, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord national interprofessionnel sur la santé au travail. Le texte prévoit des avancées en matière de prévention en entreprise, comme la création d'un "passeport prévention" pour tous les salariés, le rôle renforcé du DUERP ou l'intégration d'un réseau de médecins de ville dans les services de santé interentreprises.

Au terme de 13 séances de négociations, dont quatre dates supplémentaires ajoutées au planning, la négociation sur la santé au travail a finalement pris fin dans la nuit de mercredi à jeudi. Les partenaires sociaux sont tombés d'accord sur le contenu d'un accord national interprofessionnel (ANI) qui est désormais ouvert aux signatures des organisations patronales et syndicales.

Ce texte, dont les débats fastidieux se heurtaient dès le départ à quelques points durs, ne fait toutefois pas encore l'unanimité. Côté syndicats, seules trois organisations ont annoncé qu'elles signeraient cet ANI : la CFDT, FO et la CFE-CGC. La CGT a émis un avis négatif sur le texte, estimant qu'il ne vise qu'à "transférer les responsabilités des employeurs, non seulement vers la médecine du travail et les services associés mais aussi sur les travailleurs eux-mêmes". La CFTC hésite encore à se prononcer, de même que la CPME, échaudée après le rejet de l'une de ses propositions lors de la dernière séance. L'organisation patronale des PME a en effet choisi le dernier moment pour proposer que le financement des formations santé-sécurité des membres du CSE soit pris en charge par les Opco pour toutes les entreprises de moins de 300 salariés. Une possibilité aujourd'hui réservée aux moins de 50 salariés. L'ensemble des organisations syndicales a rejeté en bloc cette nouveauté "sortie du chapeau", qui n'a donc pas été intégrée au texte. 

C'est sur cette note conflictuelle que ce sont achevés les débats autour de ce nouvel ANI, dont les mesures sont destinées à alimenter la future réforme de la santé au travail.

Le document unique devient un outil indispensable

Jean-Luc Monteil, l'un des négociateurs du Medef, s'est dit hier satisfait de l'obtention d'un "texte équilibré, sur un modèle très opérationnel, et qui propose de vraies avancées vers un système de prévention plutôt que de réparation". Le texte fait du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) la base du plan d'action de prévention de l'entreprise. Ce plan d'action "suppose la mobilisation des moyens techniques, humains et financiers nécessaires", affirme l'accord. Afin d'assurer la traçabilité des risques, les différentes versions successives du DUERP doivent être conservées. Les branches sont incitées à proposer leur document d'aide à la rédaction du document unique.

Le DUERP servira également à assurer la traçabilité du risque chimique, l'un des fers de lance des organisations syndicales dans cette négociation. A travers ce document, les entreprises devront obtenir une vision collective de l'exposition de leurs salariés, cette traçabilité devant aussi permettre d'évaluer l'effet combiné de l'exposition à plusieurs produits chimiques (polyexposition). La traçabilité des expositions doit permettre également de repérer les salariés devant faire l’objet d’un suivi post professionnel et post exposition, afin que le suivi se poursuive même après un changement de métier.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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La responsabilité de l'employeur intacte... en apparence

Le patronat souhaitait intégrer au texte une mention visant à remplacer le principe d'obligation de sécurité de résultat de l'employeur par une obligation de "moyens renforcée". Cette notion, issue d'une jurisprudence de 2015, admet que l'employeur peut être considéré comme ayant rempli son obligation s'il a mis en oeuvre les actions de prévention prévues dans le code du travail. Une transcription de ce principe dans la loi symboliserait "une réduction de la marge de manœuvre du juge pour décider si l'employeur a bien mis en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour préserver la santé et la sécurité des salariés", selon Catherine Pinchaut (CFDT).

Cette mesure, qui constituait la "ligne rouge" des syndicats, aurait pu être un obstacle à la conclusion de l'accord. Cela n'a pas été le cas.

Le texte final se borne à rappeler l'existence de la jurisprudence, tout en réaffirmant qu' "en droit français, le principe retenu est celui de la responsabilité de l'employeur en matière de santé au travail". Une formulation qui semble avoir rassuré les organisations de salariés. Pour autant, la partie pourrait ne pas être terminée. Dans son communiqué envoyé hier, la CPME a annoncé qu'elle continuera à se mobiliser pour que "la jurisprudence limitant la responsabilité de l’employeur dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail" soit inscrite dans la loi.

Un passeport prévention

Les partenaires sociaux proposent la création et la mise en place progressive d’un "Passeport prévention" pour tous les salariés et apprentis. Il attesterait de la réalisation :

  • d’un module de formation de base sur la prévention des risques professionnels, destiné aux salariés qui n’ont aucune formation de base sur ce sujet (organisée par la branche ou l'entreprise) ;
  • et le cas échéant de modules spécifiques, dont le contenu serait défini par les branches professionnelles.

Ce passeport pourrait être étendu aux demandeurs d'emploi, mais également être portable d'une entreprise ou d’un secteur d’activité à un autre.

La CGT est défavorable au passeport prévention, qu'elle analyse comme un transfert de la responsabilité patronale. "[Le salarié], du fait des formations qui lui ont été octroyées, se verra responsable des conséquences de ses activités professionnelles sur lui-même comme sur autrui", avertit la confédération dans son communiqué.

Une durée de formation plus longue pour les élus

"Les questions de santé et sécurité, conditions de travail doivent être traitées de manière aussi stratégique que les questions économiques", souligne l'accord. Les élus du CSE et les commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) doivent participer activement à la prévention des risques, et sont chargés de procéder à leur analyse. Pour mener à bien leurs missions, ils disposent de moyens, et notamment de formations.

L'accord propose de porter la durée de la formation en santé et sécurité à cinq jours pour tous les élus du CSE et membres des CSSCT. Actuellement, cette formation dure trois jours pour les entreprises de moins de 300 salariés et cinq jours pour les autres. La possibilité de renouveler cette formation à l'occasion d'un renouvellement de mandat reste prévue, pour une durée de trois jours. Le financement de cette formation allongée reste assuré par l'employeur, sauf (comme aujourd'hui) pour les entreprises de moins de 50 salariés.

En revanche, les syndicats n'ont pas obtenu la généralisation des CSSCT en dessous de 300 salariés. Le texte ne prévoit qu'une formule incitative pour les entreprises de cette taille.

Un socle de service aux entreprises garanti

Les services de santé au travail interentreprises (SSTI) deviennent des services de prévention et de santé au travail interentreprise (SPSTI). Leurs missions sont rassemblées dans une "offre socle" de services aux entreprises qui comprend trois axes :

  • prévention ;
  • suivi individuel des salariés ;
  • prévention de la désinsertion professionnelle.

S'agissant du troisième axe, une cellule "prévention de la désinsertion professionnelle" serait mise en place au sein des SPSTI. Elle proposerait, en lien avec le salarié et l'employeur, des mesures de sensibilisation, de signalement précoce ou encore d'aménagement de poste. L'objectif : anticiper les décrochages des salariés.

Sur ce thème, l'accord préconise également de systématiser la mise en œuvre des "visites de reprise", de "pré-reprise" (arrêt de longue durée) et demandées (par le médecin, l’employeur, le salarié) pour définir d’éventuels aménagements, et de mettre en œuvre une visite de "mi-carrière" pour repérer une inadéquation entre le poste de travail et l’état de santé.

La montée en charge des SPSTI serait accompagnée de la création d'un nouveau référentiel d'évaluation. Ce référentiel servirait à certifier les SPSTI afin de garantir auprès des entreprises la qualité de l'organisation de leurs services et l'efficacité de leurs prestations. Ce référentiel serait élaboré par des organisations paritaires (CNPST et COCT). L'un des critères de certification serait lié à la mise en place d'un réseau de médecins praticiens correspondants, une autre nouveauté de l'accord.

Des médecins de ville pour les visites médicales

L'accord propose de permettre aux SPSTI de constituer une offre qui "s’appuie sur toutes les ressources médicales disponibles sur son périmètre d’action". Afin d'améliorer le service aux entreprises, les SPSTI pourront renforcer leurs ressources médicales en faisant appel aux médecins de ville, selon un protocole restant à définir. L'objectif est avant tout de garantir aux salariés le bénéfice d'une surveillance médicale de proximité, administrée dans les délais réglementaires.

Cette "collaboration nouvelle entre médecine du travail et médecine de ville" serait basée sur la création d'un réseau de médecins praticiens correspondants (MPC). Ces médecins volontaires seraient formés pour assurer une partie du suivi médico-professionnel des salariés n’étant pas affectés à des postes à risque (visites médicales initiales, visites périodiques, visites de reprise du travail).

Certains actes seraient resteraient réservés au médecin du travail :

  • le suivi individuel renforcé (SIR) des salariés affectés à des postes à risque (visite d’embauche avec maintien de la visite d’aptitude, visites périodiques, visites de reprise et de pré-reprise du travail) ;
  • le suivi de salariés dans le cadre de la prévention de la désinsertion professionnelle ;
  • les visites de mi-carrière ;
  • les visites de fin de carrière ;
  • les visites justifiant d’un suivi médical particulier (SIA) ;
  • les visites de pré-reprise ainsi que les visites (demandées par le médecin, le salarié, ou l’employeur) des salariés en SIR et des salariés VIP (visite d’information et de prévention) ;
  • la prescription d'un aménagement du poste de travail ;
  • la rédaction d'un avis d'inaptitude.

L'accord indique également qu'en "cas de non-respect prévisible des délais de réalisation des visites de suivi, le SPSTI devra justifier auprès de l’entreprise adhérente avoir bien effectué la démarche de recours à un MPC et, le cas échéant, se justifier des raisons ayant rendu impossible ce recours".

► Rappelons qu'une expérimentation est déjà prévue pour les apprentis par un décret du 30 décembre 2018 , en application de la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018. Jusqu'en 2021, les apprentis peuvent réaliser leur visite d'information et de prévention auprès d'un médecin de ville, lorsque le service de santé au travail dont dépend leur employeur indique qu'aucun professionnel en santé au travail n'est disponible. 

Par ailleurs, il prévoit un suivi médical mutualisé pour les salariés multi-employeurs occupant des postes identiques avec des risques équivalents. La réalisation d’une visite par l’un des employeurs sera donc valable pour l’ensemble des employeurs concernés (visite d'embauche, périodique, …).

Une proposition de loi débattue en février 2021

Un "comité national de prévention de santé au travail" tripartite serait constitué au sein du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT). Il se verrait attribuer les missions actuelles du groupe permanent d'orientation du COCT auxquelles s’ajouteraient des missions d'articulation et de suivi des nouveautés de l'accord (élaboration du cahier des charges de la certification des SPSTI ainsi que de l’offre de prévention de la désinsertion professionnelle, suivi de la mise en œuvre de la collaboration médecine du travail/médecine de ville et de la mise en œuvre du passeport prévention...). Ce comité serait décliné au niveau régional dans les Comités régionaux d'orientation des conditions de travail (CROCT).

Les partenaires sociaux ont jusqu'au 8 janvier pour signer l'accord. La députée Charlotte Parmentier-Lecocq, auteure d'une proposition de loi, avec une autre députée Carole Grandjean, visant à réformer le code du travail, s'est félicitée de l'accord trouvé entre les partenaires sociaux. "Cet accord [...] sera intégré à la proposition de loi que nous déposerons dans les prochains jours, a-t-elle indiqué hier dans un communiqué. La proposition de loi sera débattue en février prochain au sein de l’Assemblée nationale, avant de poursuivre son chemin législatif au Sénat au printemps prochain."

Laurie Mahé Desportes
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